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Vers l'abstraction
Nous sommes désolés de l'intrusion des deux béotiens qui viennent bavasser à tout propos sans savoir que les tableaux échappent parfois à notre surveillance ni qu'ils écoutent, et nous rapportent, ce que vous dîtes d'eux.
Robert Delaunay 1885-1941
Parisien, moderniste, il est de toutes les avant-garde, dans sa vie et ses oeuvres. Bourgeois-Bohème-Propre-sur-lui il s'enthousiasme pour la Nouveauté comme d'autres pour la Contestation-Cradingue, une sorte de positive-attitude-critique. Les théories sur le contraste simultané des couleurs de Chevreul (ici) et le regard de Sonia sur les vives couleurs, primaires et saturées, le conduisent successivement à épouser — outre Sonia ! — le pointillisme, le fauvisme, le cubisme analytique en abandonnant le monochromatisme, le futurisme, et à glisser prématurément vers une abstraction dans laquelle toutes ces démarches devaient fatalement déboucher.
Robert Delaunay
Hommage à Blériot
1913, Aquarelle sur papier marouflé, 78 x 67 cm
Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, Domaine public
Outre l'avion nous trouvons aussi la Tour Eiffel qui le fascine et qu'il représente à de multiples reprises. Les cercles concentriques et colorés sont déjà là avec leurs oppositions clair-foncé, froide-chaudes et complémentaires. Rotation de l'hélice ? Eblouissement ?
Robert Delaunay
Le Baiser
1922, Pastel sur papier marouflé sur contreplaqué, 40,5 x 30,5 cm
Paris, Centre Pompidou
Photo © Philippe Migeat, Dist. RMN-GP, Domaine public
Notez la diagonale.
Robert Delaunay
Les coureurs
1924, Pastel sur papier collé sur contreplaqué, 46,2 x 57,2 cm
Dijon, Musée des beaux-arts, © photo François Jay
Le musée de Dijon, si riche par ailleurs, s'obstine à présenter ce pastel à l'envers (le rendant beaucoup moins lisible) !
Robert Delaunay
Rythme n°2
1938, Gouache sur papier calque, 35,7 x 26 cm
Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, Domaine public
Cette gouache est une esquisse pour la série des Rythmes créée pour la décoration du hall du Salon des Tuileries de 1938.
Nous n'avons pas parlé de l'Orphisme, expression inventée par Apollinaire, ordinairement mieux inspiré, elle est sans signification et récusée par Delaunay lui-même. Vous la trouverez partout.
Sonia Delaunay 1885-1979
Russe ukrainienne de milieu modeste, adoptée par son oncle, bourgeois aisé et cultivé de St-Petersbourg, elle étudie le dessin en Allemagne puis s'installe à Paris pour se former à la peinture et s'emballe pour le fauvisme. Mariage blanc avec son galeriste en 1908 pour devenir française. Elle côtoie Picasso, Braque, Derain et Delaunay qu'elle épouse (après avoir divorcé évidemment).
Maniaque des couleurs saturées et des tissus colorés elle est le moteur du couple vers la fantaisie, la danse et les voyages. Elle est surtout connue pour ses tissus, ses robes et sa maison de couture mais c'est un vrai peintre qui va traverser avec Robert tous les mouvements d'avant-garde de la "belle époque".
Après la guerre elle va s'employer à la renommée de leurs oeuvres en organisant des rétrospectives, des hommages, des expositions et des donations.
Sonia Delaunay
La marchande d'oranges
1915, Gouache sur papier teinté, 45,8 x 51 cm
Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris © Pracusa S.A.
Sonia Delaunay
Composition
Pastel, 14,5 x 12 cm, Drouot collection Michel Hoog
Leur fils, Charles Delaunay (1911-1988), passionné et féru de Jazz, fut la tête pensante du Hot Club de France.
Vassily Kandinsky 1866-1944
Moscovite qui grandit à Odessa, juriste qui entame à 30 ans des études de peinture à Munich, peintre tardif qui serait resté un petit peintre s'il n'était d'abord un intellectuel dont les écrits comme Du spirituel dans l'art et la peinture en particulier (1911) vont motiver ses contemporains à l'abandon de la peinture comme représentation du réel pour verser dans le lumineux élan où la musique et les couleurs expriment une âme qui se regarde s'exprimer. L'art ayant, dit-il, la fonction d'élever la spiritualité de la société et l'artiste le devoir de laisser parler son intériorité pour atteindre directement celle du spectateur.
Vaste programme auquel il s'attelle en produisant parfois des résultats agréables à l'oeil quand bien même il prétend que l'art n'a pas à être beau.
Nous disons que sans le beau il n'y a pas d'art.
Vassily Kandinsky
N°10
1911-12, Aquarelle, 33,3 x 31 cm
Cleveland Museum of Art
— Là il réussit bien une part du programme.
— ??
— Oui, ce n'est pas beau !
— D'accord, mais quelle élévation pour l'esprit !
— ??
Vassily Kandinsky
Sans titre
1916, Encre noire plume et pinceau sur papier, 25,3 x 34,2 cm
Art Institute of Chicago
— Jouons au jeu du titre.
— Pourquoi pas Partie de pêche à Odessa ?
— Ah oui ! Moi je voyais une éphémère.
— On dit UN éphémère.
— Oui mais j'ai l'impression que c'est une femelle !
Vassily Kandinsky
Jaune rouge bleu
1925, Huile sur toile, 128 x 201,5 cm
Paris, Musée national d'art moderne, Wikimedia Commons
— Celui-ci est beau.
— Oui, mais ça va pas avec tout.
— Tu trouves toujours à redire. Au fait, tu as vu Le jour se lève ?
— Oui, avec Michèle Morgan.
— Mais non c'est Arletty !
— Oui ? oui oui, tu as raison, d'ailleurs l'oeil est moins bien !!
— Dis-donc, aquarelle, lavis, huile, je croyais être là pour les pastels ?
— Il ne s'en est pas servi.
— Alors il n'a rien à faire ici !
— Oui, partons.
Piet Mondrian 1872-1944
Hollandais. Mondrian, à la différence de Kandinsky, est un vrai peintre qui va suivre à son rythme l'évolution de la peinture de son temps. Sa période cubiste va le conduire assez naturellement vers une abstraction bien différente : le discours de Kandinsky est rationnel, son oeuvre ne l'est pas, Mondrian élucubre un délire assez consternant, il est théosophe, qui débouche sur une architecture géométrique sensée constituer le soubassement du monde, une abstraction figurative en quelque sorte.
Piet Mondrian
Départ pour la pêche (Zuiderzee)
vers 1900, Pastel aquarelle et fusain, 62 x 100 cm
Musée d'Orsay, Paris, France © photo musée d'Orsay / rmn
Piet Mondrian
Composition in Brown and Gray
1913, Huile sur toile, 65,7 x 75,6 cm
MoMA
Piet Mondrian
Composition with Red, Yellow, Blue, and Black
1923, Huile sur toile, 59,5 x 59,5 cm
Gemeentemuseum Den Haag
Ces deux huiles pour revoir Mondrian et évaluer l'évolution : la grande innovation est la découverte du ruban adhésif de masquage utilisé par les carrossiers pour obtenir des limites droites et franches. Dix minutes pour coller le ruban, cinq minutes pour peindre et voilà l'intime structure cachée des secrets de la grande arcane prête à la vente.
— Voilà une déco qui irait bien avec des meubles Ikéa.
— D'ailleurs il a dessiné des étagères.
— Heureusement qu'il est là.
— Remarque, il y a bien un architecte qui vient de nous pondre un palais de justice avec des Legos...
— Oui j'ai vu, c'est Piano, celui qui avait fait la tuyauterie des Halles.
— Le problème n'est pas l'architecte, c'est le commanditaire...
Jackson Pollock 1912-1956
Premier Grand Maître de l'Ecole de New York. La guerre est finie, les USA ont triomphé, New York est le centre du monde, de l'art comme du reste, l'Avant Garde règne. En peinture c'est l'Expressionnisme-abstrait (il fallait le trouver !).
Pollock étale sa toile sur le sol, néglige toute composition, étend la peinture à gestes larges ou l'écoule au hasard, éclabousse ou ornemente à son idée. Le résultat est parfois heureux.
Jackson Pollock
Sans titre
1946, Gouache et pastel sur papier, 58 x 80 cm
Peggy Guggenheim Collection, Venice 76.2553 PG 147 © Jackson Pollock, by SIAE 2008
Que dire de ce borborygme pictural ? Toute interprétation risque de perturber celle, tout autant pertinente, du lecteur; mais après tout si nous écrivons c'est bien pour donner notre avis. Alors, allons-y !
Nous titrerions La marche lourde du mastodonte irrité, irrité car un regard mauvais émane de son oeil largement cerné. A droite ! La tête est à droite ! Ne pas confondre avec l'ocelle croupière qui s'est transformée en trou noir aspirant ce qui passe à sa portée, des oiseaux subissent ce sort funeste. La plaque minéralogico-scapulaire indique clairement que nous sommes en Eure-et-Loir, à Chartre car on distingue les flèches de la cathédrale et même au centre la pointe de flèche qui semblent attirées par ce puits sans fond. Des reliefs alimentaires, encore sanguinolents, sont visibles (licence poétique) dans la panse de la bête vorace; débris humains, va sans dire, un malheureux est d'ailleurs en train d'être croqué, ses membres agités dans un geste de souffrance et de révolte dépassent encore de la bouche du monstre. Un monstre en voie de mutation, son arrière-train déjà transformé en queue de sirène semble séduire une langouste qui s'accroche comme elle le peut pour résister au trou noir.
Mais si vous y tenez vous pouvez voir une tempête de sable sur un campement de bédouins, ou faire les malins en titrant Lune noire sur Aldébaran.
Il est bien ce Pollock !
Augusto Giacometti 1877-1947
Suisse, cousin du père d'Alberto. Formé à la Kunstgewerbeschule de Zurich, élève d'Eugène Grasset à Paris (1897-1901). De 1902 à 1915 il s'installe à Florence. Pionnier de l'abstraction par ses écrits et ses Cercles de couleurs dès 1905, mais il est surtout un maître de la couleur. Des fleurs, des papillons, des paysages, des bâtiments et bien sûr des compositions colorées toujours éclatants. Plus tardivement il viendra au vitrail toujours candidat aux explosions de couleurs.
Augusto Giacometti
Music
1899, Craie, fusain, pastel et tempéra sur papier, 186 x 109 cm
Collection privée, © 2000–2018 The Athenaeum
Déco avant l'Art-Déco, joli, à la dégustation on peut sentir un zeste de Préraphaélisme; s'il était contemporain un journaliste spécialisé évoquerait les fractales histoire de faire croire qu'il s'y entend en mathématique; pour notre part, saluons l'harmonie et la complémentarité des couleurs ainsi que le S inversé de la composition.
Augusto Giacometti
Design I
1918, Pastel sur papier, 77 x 76 cm
Bern, Kunstmuseum, © 2000–2018 The Athenaeum
Augusto Giacometti
L'Astronome
1924, Pierre noire et craie blanche sur papier vert, 38,7 x 31 cm
Dijon, musée des beaux-arts, © Service des musées de France, 2017 photo © Jay
Un dessin préparatoire pour une fresque destinée à décorer un bâtiment administratif à Zurich, sa ville.
Lisez le journal de Delacroix et convenez que l'ébauche peut être plus réussie, et belle, que le projet terminé, l'une est l'oeuvre de l'artiste, l'autre celle de l'artisan.
Augusto Giacometti
L'Astronome
1922, Pastel, © 2000–2018 The Athenaeum
Pour le même projet, le pastel, mis au carreau. En cliquant sur l'image vous verrez la fresque réalisée (et mal éclairée).
Hall d'entrée du bâtiment de la police, Bahnhofquai 3, Zurich 8001, Suisse
Photo Jessica S. sur TripAdvisor
Augusto Giacometti
Marocain porteur d'eau
Pastel, 36 x 24,5 cm, Collection privée © 2000–2018 The Athenaeum
Augusto Giacometti
Baptême
1930, Pastel, 22,9 x 21 cm, Collection privée © 2000–2018 The Athenaeum
Jean-Paul Riopelle 1923-2002
Québécois, Automatiste (variété Montréalaise du Surréalisme), une oeuvre faite d'un "mouvement brownien"
sur fond coloré agréable à contempler mais dont les significations sont celles des amateurs comme dirait Liotard.
J.-P. Riopelle
Untitled
1975, Pastel sur papier collé sur carton, 139,8 x 100 cm
Paris, photo © Philippe Migeat,
Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP © Adagp, Paris
Le veau d'or serait-il toujours debout ?
Vous trouverez un article un peu plus riche sur la page Au Québec ICI.
Joan Mitchell 1925-1992
Peintre abstrait s'il en est, figure majeure de l'art américain, nous la plaçons ici pour ne pas la séparer de Riopelle avec qui elle vécut les 35 dernières années de sa vie, en France, à Vétheuil dans le Vexin sur la rive droite de la Seine.
Elle vient à l'abstraction au début des années 50 et au pastel à la fin des années 80.
Ses oeuvres, très colorées, de grande taille, respectent le blanc de la toile ou du papier, le motif semble suspendu et flottant en avant. Elle peint la nature, dit-elle, ou plutôt ce que celle-ci lui évoque.
Joan Mitchell
Untitled
1986, Pastel et aquarelle sur papier
Newcomb Art Museum, Tulasne University
Joan Mitchell
Untitled
1992, Pastel sur papier
Joan Mitchell Foundation, New York © Estate of Joan Mitchell
Joan Mitchell
Untitled
1992, Pastel sur papier, 74,9 x 55,2 cm
Newcomb Art Museum, Tulasne University