← Les Femmes Pastellistes au 18 ème siècle →
Au risque de déplaire aux féministes militantes qui entendent gérer elles-même ce type de discimination, consacrons,
en ce siècle d'or du pastel, une page à ces dames pastellistes. Non pas qu'il soit surprenant que des femmes puissent avoir du talent
mais les usages et les règlements en ces temps lointains ne donnaient pas à nos compagnes les possibilités que s'attribuaient leurs
seigneurs et maîtres.
Ainsi l'étude de l'anatomie leur était interdite et il eut été malséant voire scandaleux qu'elles représentassent des corps nus. La
peinture d'histoire, qui inclus la peinture religieuse, leur étant interdite restaient le portrait, les natures mortes et les paysages;
domaines où elles excellèrent.
Citons :
Marie-Suzanne Roslin 1734-1772
Née Giroust, élève de Vien et de de La Tour, elle épousa Alexandre Roslin, peintre suédois membre, comme elle, de l'académie.
Celui-ci y fut admis en 53, par dérogation eu égard à sa religion "réformée", voyez à ce propos la lettre de
De Vandières.
Notons que ces avancées vers la tolérances avaient leurs limites puisque le soir même de l'admission de Marie-Suzanne il fut décidé de
limiter à quatre le nombre d'académiciennes.
Marie-Suzanne Roslin
Portrait du sculpteur Jean-Baptiste Pigalle
1770, Pastel sur papier bleu, 91 x 73 cm
Musée du Louvre
Ce portrait de Pigalle, de l'académie lui aussi, fut sa pièce de réception.
Voyons maintenant ce tableau en cascade. C'est un autoportrait dans lequel elle se représente copiant l'autoportrait de Delatour que
vous avez vu dans les pages précédentes.
Marie-Suzanne Roslin
Autoportrait
Années 1770, Pastel sur feuilles de papier bleu marouflées sur toile, 92 × 111 cm
Collection particulière
Profitez-donc d'un week-end prolongé pour aller au Nationalmuseum de Stockholm, vous trouverez plusieurs portrait de Marie-Suzanne
par son époux Alexandre.
Morte trop tôt (38 ans) d'un cancer du sein.
Anne-Rosalie Boquet 1753-1794
Devenue Rosalie Filleul par son mariage en 77, décapitée en 94 (le 6 messidor an 2, 27 juillet 1794) avec sa mère.
Elle fut élève de G. Briard mauvais peintre mais bon pastelliste. Jolie fille courtisée par Benjamin Franklin, alors ambassadeur à Paris,
auquel elle promet un baiser "s'il est gentil", amie de E. Vigée Le Brun, membre de l'Académie de Saint-Luc.
Pastelliste estimée, ses oeuvres ont été dispersées et sans doute détruites à la révolution.
Reste ceci :
Rosalie Boquet-Filleul
Portrait de Michelle de Bonneuil (1748-1829)
1778, Pastel
Collection of the comtesse de Termont, descendent of the model
Rosalie Boquet-Filleul
Portrait of Princess Marie Joséphine of Savoy (1753-1810), Countess of Provence
1780, Pastel
Musée Hôtel Bertrand, Châteauroux, Indre, France
Une fois n'est pas coutume, décapitée peut-être mais Houdon lui avait sculpté la tête sur les épaules, dans le marbre, pour son mariage.
Pour répondre à votre curiosité voici quelques détails sur la famille Boquet :
Elle est la fille de Blaise Boquet le frère de Louis-René Boquet et de Marie-Rosalie Hallé. Louis-René dont la
fille (cousine donc de notre Rosalie) Marie-Madeleine est l'épouse de Etienne Aubry
élève de Vien, mort trop tôt, auquel nous devons ce portrait :
Etienne Aubry (1745-1781)
Portrait d'homme
Pastel, 54,3 x 45 cm
RMN-Grand Palais (musée Magnin à Dijon) / Thierry Le Mage
Adélaïde Labille-Guiard 1749-1803
Son père tenait une boutique de mode à Paris où il employait une vendeuse nommée Jeanne Bécu qui deviendra Madame du
Barry, la remplaçante de Madame de Pompadour, et qui sera guillotinée en 93.
Sa soeur Félicité a épousé Jean-Antoine Gros, le père, peintre-dessinateur-graveur et collectionneur-marchand, d'Antoine-Jean Gros ; pastelliste comme elle mais tôt défunte.
Adélaïde Labille-Guiard
Marie-Adélaïde de France (1732-1800)
1786~87, Pastel on blue paper mounted on canvas, 73 x 59 cm
Chateau de Versailles, Wikimedia Commons
Adélaïde Labille-Guiard
Madame Victoire (1733-1799)
1786~87, Pastel on blue paper mounted on canvas, 73 x 59 cm
Chateau de Versailles, Wikimedia Commons
Rappelons que Louis XV et Marie Leszczynska eurent 10 enfants en 10 ans dont 8 filles, Marie-Adélaïde la 4ème et Victoire la 5ème, le
dauphin Louis-Ferdinand, emporté par la tuberculose à 36 ans, est le père de Louis XVI, de Louis XVIII et de Charles X.
Adélaïde Labille-Guiard
Marie Gabrielle Capet and Marie Marguerite Carreaux de Rosemond
Black chalk with stumping, red and white chalks on beige paper, 38,1 x 48,3 cm
The Metropolitan Museum of Art (New York)
Marie Capet est à droite; ce dessin n'est qu'une étude pour le tableau, à l'huile, au MET également, autoportrait de 1785
(2m10x1m51) qui représente les trois femmes ensemble
Cliquez ICI pour le voir.
Adélaïde Labille-Guiard
Augustin Pajou modelant le buste de son professeur Jean-Baptiste Lemoyne
1782, Pastel on blue paper, 71 x 59 cm
Musée du Louvre, Paris. Photo : Laura Auricchio
Saisissons Labille au bond pour quelques commérages, précisions sur la vie artistique du temps et la structure de l'organisation
professionnelle.
Mariée, séparée, divorcée, remariée, reséparée Adélaïde abritera toujours son amie Marie Capet. Elle fut élève de François-Elie Vincent,
pour les miniatures, le portrait et l'huile, qui la fera entrer à l'Académie de
Saint-Luc; puis de Quentin De La Tour pour le pastel; puis de François-André Vincent, le fils de son premier maître, qu'elle épouse
et qui l'introduit auprès de ses amis Académiciens. Elle entre à l'Académie Royale en même temps que Madame Vigée-Lebrun (qu'elle déteste).
Une carrière bien menée au cours de laquelle elle portraiture les femmes, par goût, et les hommes par intérêt. A la Révolution elle oublie
ses relations royales, (le Roi l'avait pensionnée) pour en créer de nouvelles comme nous le montre son portrait de Robespierre, un pastel
introuvable mais dont la copie à l'huile par Vigneron est à Versailles*.
Adélaïde Labille-Guiard
Head of a Young Woman
1779~82, Pastel on paper, 54,6 x 44,5 cm
The J. Paul Getty Museum, Los Angeles
Eh bien, que d'audace madame Labille ! Il s'agit probablement de Marie Capet si l'on compare avec l'autoportrait à l'huile qui se trouve au National Museum of Western Art (Tokio, Japon).
* Le portrait de Robespierre par Vigneron était primitivement annoté "D'après Danloux". Le pastel de Labille avait
été présenté au salon, il est donc bien réel mais Pierre Danloux, auteur de Louis XVI au Temple, affectionnait les fonds
bistres-bruns et cadrait souvent ses portraits depuis le haut de la cuisse, or c'est ainsi que se présente le Robespierre dont nous parlons.
Marie-Gabrielle Capet 1761-1818
Lyonnaise, élève et protégée de Labille-Guiard, voir ci-dessus. Miniaturiste et portraitiste talentueuse.
Marie-Gabrielle Capet
Portrait de Anne-Félicité Grésille (1763-1826), Epouse Longrois
1785, Pastel sur papier, 73,1 x 59,4 cm
Chateau de Versailles, Wikimedia Commons
Voyez également cette acquisition récente (début mars 2020) du musée du Louvre :
Marie-Gabrielle Capet
Portrait de Rémy Clément Gosse (1741-1805)
1796-97, Pastel sur papier marouflé sur toile, 70 x 58 cm
Paris, Musée du Louvre, Photo : Musée du Louvre
A la différence de Rosalie et malgré son nom elle sauva sa tête à la révolution.
Marie-Geneviève Navarre 1737-1795
Elève douée de De La Tour, elle expose aux salons de Saint-Luc de
1762 à 1774
Marie-Geneviève Navarre
Portrait de Jeune femme
1774, Pastel sur papier, 61 x 50,2 cm
National Museum of women in the Arts, Washington D.C.
Gift of Wallace and Wilhelmina Holladay
Françoise Basseporte 1701-1780
Madeleine-Françoise est fille d'un marchand de vin parisien, tôt orpheline et chargée de famille elle ne doit sa réussite qu'à ses dons pour le dessin et à un travail opiniâtre. Elève de Robert de Séry qui rentre d'Italie elle se voit confier la direction d'une école de dessin pour jeunes filles, pastelliste-portraitiste au temps de Rosalba elle bifurque vers la représentation florale dont elle devient la spécialiste. Sa vie est au Jardin-des-Plantes alors Jardin du Roy, amie proche de Linné qu'elle voulait épouser, poussée par Maurepas, Jussieu et Buffon son oeuvre principale est constituée par la collection de peinture, à la gouache, de plantes du Museum d'Histoire naturelle.
Françoise Basseporte
Probable auto-portrait
1727, Pastel sur papier, 44,5 x 37 cm
Rijksmuseum, domaine public
Marie-Élizabeth Ozanne 1739-1797
Ses pastels sont dans la veine de Simon-Bernard Lenoir, elle entre à Saint-Luc fin 63 et y expose ces portraits en 64.
Marie-Élizabeth Ozanne
Paire de portraits
1764, Pastel sur papier, 54 x 44 cm
Collection particulière sur artnet
Son frère Nicolas est peintre de Marine et architecte naval, il contribue à l'intérêt de Louis XVI pour l'exploration et la marine.
Anne Vallayer Coster 1744-1818
Fille d'un orfèvre des Gobelins, élève de la précédente et de Vernet, académie en 70. Ses natures mortes sont à l'huile, ses miniatures à la gouache, peintre de la reine ce qui nous vaut ce portrait au pastel. Une femme digne des encyclopédistes qui fit une belle carrière; monarchiste discrète elle traversa sans encombre et avec dignité cette période troublée.
Détail de son portrait (à l'huile) par Alexandre Roslin →
Anne Vallayer Coster
Portrait de Marie-Antoinette
1780, Pastel sur papier, 73 x 62 cm avec le cadre
Collection particulière, domaine public
Elisabeth Vigée Le Brun 1755-1842
Nous allons refermer cette page féminine sur la plus connue qui par sa longévité aurait tout aussi bien pu se situer
au 19ème siècle. Un réel talent, une formation sérieuse, tant à l'huile qu'au pastel, une carrière éblouissante et qui reste d'actualité,
et une énorme vanité qui la pousse à l'autoportrait qu'elle multiplie et même à l'écriture de ses
mémoires, qu'il convient d'avoir lus pour percevoir ce qu'étaient,
avant la révolution, la liberté des femmes et l'Europe en tant que civilisation; pour saisir aussi combien les guerres napoléoniennes furent
nuisibles à ce qu'elles prétendaient instaurer.
Revenons à Vigée-Lebrun pour saluer sa constance, dans le métier dont elle vit et dans ses amitiés qui perdurent à travers la Révolution,
l'Empire et la Restauration.
Des oeuvres longtemps considérées faibles pour une femme forte.
Elisabeth Vigée Le Brun
Auto-portrait en costume de voyage
Pastel sur papier, 50 x 40 cm
Livret de l'exposition au grand-palais 2015-16
Collection privée © Collection particulière
Elisabeth Vigée Le Brun
Louise, reine de Prusse (1776-1810)
1801, Pastel sur papier
Elisabeth Vigée Le Brun
Louise, reine de Prusse (1776-1810)
1801, Pastel sur papier
Voilà qui pourrait faire de très jolis couvercles de boites de chocolats, une pour Noël, l'autre pour Pâques !
Au sujet de ces femmes, artistes et autonomes, nous pouvons évoquer, par avance, Georges Sand, à laquelle nous avons consacré une page particulière à lire ICI dans les annexes.