Le Paysage romantique
Le Paysage historique que nous avons évoqué dans les pages précédentes est conforme au métier tel que défini par l'Académie c'est à dire Classique. Pour être reçu et récompensé le cursus était inchangé depuis le XVIIème siècle : anatomie, dessin sur la "bosse" (plâtres) et sur modèles nus, perspective, des concours tous les mois, puis rattachement à un professeur pour la peinture proprement dite. Ce sont des années sous pression, tendues vers le prix de Rome ; les meilleurs disposaient d'une carrière assurée et deviendront à leur tour Professeurs et membres du jury pour le Salon. Mais depuis le XVIIIème la contestation était entrée dans les moeurs, l'art réclamait l'émotion. Passé la période révolutionnaire l'Empire avait établi le mauvais goût : un style lourd, laid, mastoc, en tous domaines : ameublement, statuaire, architecture ; en peinture le néo-classicisme d'un David, par exemple, manifestait davantage le savoir faire du peintre que son talent. Ingres, son élève, magnifie le "beau" mais restera opposé aux émotions romantique et à la radicalité réaliste d'un Courbet. Si Géricault inaugure le romantisme en peinture il n'est pas paysagiste et laisse à la génération qui occupe cette page le soin de l'y introduire.
Deux courants vont irriguer le siècle. A travers les émeutes, les restaurations, les républiques, l'église et la droite d'un côté, républicains et libéraux de l'autre. Le Salon des Refusés, la débâcle de 70, les Impressionnistes et leurs successeurs... un camp est victorieux, pour un moment !
Nous avons par ailleurs parlé de Camille Flers, Isabey, Troyon, Diaz de la Peña ou Théodore Rousseau et Millet pour ne pas y revenir, le sujet étant suffisammemt vaste.
Voyons ce que ces Romantiques ont apporté en matière de paysage.
Camille Roqueplan 1803-1855
Elève de Pujol puis de Gros, formation classique donc mais son inconstance le conduit à dramatiser ses sujets. Quelques portraits, surtout des scènes de genre à côté de marines et de paysages. Nous le plaçons au début de la page comme précurseur du Paysage romantique.
Camille Roqueplan
Coup de vent et diligence
1839, Huile sur toile, 79 x 119 cm
Musée d'Art de Toulon
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Sa fille Camille Prévost-Roqueplan qui fut peintre et tenait salon n'hérita pas sa fragilité, elle vécut jusqu'à 103 ans.
Alexandre-Gabriel Decamps 1803-1860
Solitaire ombrageux, élève de Pujol lui-aussi mais qui finalement se forme lui-même et connaît le succès par son originalité. Considéré souvent comme créateur du romantisme en peinture et initiateur de l'orientalisme. Voilà pourquoi il est ici bien que davantage auteur de scènes de genre et de parodies animales que de paysages.
Alexandre-Gabriel Decamps
Les remparts d'Aigues-Mortes
1843, Huile sur toile
Musée du Louvre
Paul Huet 1803-1869
Elève de Guérin et Gros, ami fidèle de Delacroix, républicain militant, combattant à l'occasion.
Paul Huet
L'inondation de Saint-Cloud
1855, Huile sur toile, 203 x 300 cm
Musée du Louvre, photo A. Dequier - M. Bard
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Delacroix dans son journal (tome2 p.387 en date du 18 juin 54): "Ce pauvre Huet n'a plus le moindre talent : c'est de la peinture de vieillard, et il n'y a plus l'ombre de couleur." Ce même Delacroix qui lui écrit le 24 avril 55 : "...Votre grande inondation est un chef d'oeuvre : elle pulvérise la recherche des petits effets à la mode..." Voilà ce qu'on pense et ce qu'on dit à un ami. Délicatesse pour une amitié qui remonte à 1822.
Emile Charles Joseph Loubon 1809-1863
Aixois admirateur de Roqueplan qui dirigea l'Ecole de dessin de Marseille. Il peuple les premiers plans, arides, de sa provence, de troupeaux; un exercice où il excelle.
Emile Loubon
Vue de Marseille prise des Aygalades un jour de marché
1853, Huile sur toile, 140 x 240 cm
Marseille, musée des beaux-arts
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Louis-Nicolas Cabat 1812-1893
Elève de Flers, fut directeur de l'Académie de France à Rome. Ami de Troyon, dominicain barbizonnesque, ses paysages sont souvent ceux de la forêt d'Othe.
Louis Cabat
Barque au bord de l'eau
Huile sur toile, 54,5 x 61,5 cm
Sur MutualArt
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Jules Dupré 1811-1889
Une famille de céramistes, il y fréquente très tôt Diaz, Troyon, Cabat, Decamp puis tous les Barbizon, en particulier Rousseau dont il sera "proche". Il parcourt toutes les régions et sera à Crozant pour finalement se fixer à L'Isle-Adam.
Jules Dupré
Vaches traversant un gué
1836, Huile sur toile, 36,2 x 62,5 cm
MET, collection en ligne
huiles/duprej_grde
Léon-Victor Dupré 1816-1879
Son jeune frère qui fut son élève et son associé.
Après les vaches quelques moutons !
Victor Dupré
La pause du berger entouré par ses moutons
1856, Huile sur panneau, 20,5 x 35 cm
Sotheby's
huiles/duprevict_grde
Charles Emile Jacque 1813-1894
Peintre autodidacte, grand graveur et illustrateur, à Barbizon avec Rousseau et Millet, spécialiste des poules et des moutons.
Charles Jacque
Troupeau de moutons dans un paysage
1850, Huile sur toile, 176 x 280 cm
Paris, musée d'Orsay, RMN © H. Lewandowski
huiles/jacque_grde
Question à ceux* qui ont regardé attentivement ces pages consacrées aux Paysagistes : avez-vous ressenti la spécificité des paysagistes romantiques ? Osez le dire, il n'y en a pas. C'est que le Romantisme est une notion littéraire, un environnement intellectuel dominant auquel tout le monde adhère, peu ou prou, d'enthousiasme immédiat ou par imprégnation lente, pensez au "politiquement correct" de notre époque. Les peintres subissent cet entraînement, mais leur technique, classique, les contraint, surtout pour peindre ce que la nature leur fournit de motif et d'effet. Ils sont dits Romantiques mais sont avant tout Peintres. Le chemin sera long avant d'abandonner le dessin et les valeurs, et au bout d'icelui qu'a-t-on gagné ? Le Carré noir sur fond blanc ?
(Trois Pierre Soulages ont été dérobés récemment**, probablement par quelqu'un qui voulait bitumer une allée dans son jardin... Oui oui, j'ai honte.)
* Vous pouvez lire "cellezéceux" si vous subissez ce qui est décrit ensuite !
** Juillet 2020.