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Nous aborderons les Symbolistes page suivante mais il semble opportun d'aller auparavant en Angleterre, pour observer les Preraphaelites dont l'influence semble évidente. Gustave Moreau, par exemple trouverait naturellement sa place parmi eux. Ils furent peu pastellistes, nous ne verrons que les exceptions en assimilant les dessins, la gouache et l'aquarelle. Notez que vous trouverez nombre de leurs huiles en annexe dans les pages "Muses et Modèles".
Les Préraphaélites
Dante Gabriel Rossetti 1828-1892
Gabriele Pasquale Giuseppe Rossetti 1783-1854, d'une éminente famille italienne, poète reconnu, est le fondateur d'une Vente sicilienne et un nationaliste éclairé (carbonaro e massone) qui s'oppose au Royaume des Deux Siciles; contraint à l'exil il trouve refuge à Malte où les anglois qui grenouillent comme de juste en Méditerranée vont lui offrir l'asile, à Londres. Il est le père du Dante Gabriel qui nous occupe.
— Un peu longuette son intro, non ?
— Oui, espérons qu'il n'en fasse pas autant pour la mère !
Voyons la mère à présent. Frances Polidori 1800-1886 fille de Gaetano Polidori, poète, écrivain qui fut secrétaire durant quatre ans de Vittorio Alfieri Franc-Maçon en une période où la Maçonnerie flirtait avec la Charbonnerie, et qui lui aussi s'exila à Londres. Frances avait un frère John qui eut le temps d'être médecin, écrivain (Le Vampire) et poète, d'accompagner Lord Byron en Suisse, de visiter l'Italie avant de se suicider au cyanure à 25 ans.
Nous nous sommes attardés sur la famille, pour saisir que ce sont des intellectuels, littéraires et enseignants, poètes impliqués dans les sociétés secrètes et l'ésotérisme, afin de souligner que Dante Gabriel est tout autant poète, écrivain et éditeur que peintre et n'être point surpris qu'il soit cofondateur en 1848, avec Millais et Hunt, de la Fraternité Préraphaélite (Pre-Raphaelite Brotherhood : PRB) qui nous intéresse ici :
Société secrète, donc, mais qui entend se faire entendre. Ce sont des jeunes gens qui critiquent leurs aînés et veulent bousculer l'art qui leur est enseigné pour revenir aux fondements, qu'ils idéalisent, de l'art médiéval. Le tableau, admirable pourtant,
La Transfiguration de Raphaël, symbolisant tout ce dont ils ne veulent plus. Ils veulent :
• du beau, du singulier, du sincère, de l'idéal.
• assis sur une peinture soignée, fidèle et scrupuleuse de la nature.
• des sujets tirés des anciennes légendes, des mythologies, des vieux contes, de la Bible, du cycle Arthurien, des poètes, de Shakespeare ...
Leurs écrits déclenchent l'hostilité dans cette Angleterre victorienne mais leurs oeuvres reçoivent un meilleur accueil.
La Fraternité, stricto sensu, ne dura guère plus de 6 ans mais leur influence fut grande et nous pouvons considérer qu'elle s'étend largement sur l'ensemble de la peinture de la seconde moitié du 19è siècle et de la première du suivant et plus particulièrement au Symbolisme et à l'Art Nouveau.
Ils ont également marqué la période par la mise en avant d'un "type" féminin que vous pouvez retrouver à la page 3 des Modèles dans nos Annexes.
John Everett Millais, William Holman Hunt, James Collinson, William Morris et les autres ne sont pas particulièrement pastellistes, et si vous parcourez les musées britanniques sachez que les pastels secs et durs, qu'ils affectionnent, sont souvent dénommés "chalks" c'est à dire craies. Voyons :
Dante Gabriel Rossetti
Christina and Frances (sa soeur et sa mère)
1877, Pastel sec, 42,5 x 48,3 cm
National Portrait Gallery
Christina est le poète majeur de la période, la seconde soeur Maria fut None anglicane et son frère William écrivain et critique littéraire, cofondateur et théoricien de la PRB, éditeur de The Germ la revue de Préraphaélisme qui se limita à 4 numéros.
Des vignettes à agrandir au clic.
Dante Gabriel Rossetti
Beata Beatrix
1872, Pastel, 87 x 69 cm
Private collection
Rossetti a réalisé, en 48, la traduction anglaise de Vita Nuova de Dante, à la fois poème et prose à la gloire de son amour pour une Béatrice, réelle et rêvée, allégorique et symbolique, que la mort sanctifie à un niveau quasi christique.
C'est ici la 1ère version de Beatrix, vous trouverez ici une autre version à l'huile.
Ford Madox Brown 1821-1893
Né à Calais, formé en Flandre, peintre anglais très ami de Rossetti qu'il contribue à former; proche des Nazaréens puis des Preraphaelites sans entrer pleinement dans la Fraternité.
Il avait une fille avec sa première épouse Elisabeth Bromley 1819-1846, Lucy 1843-1894 qui fut peintre et épousa William Michael Rossetti en 74.
Ford Madox Brown
The Convalescent (A Portrait of the Artist's Wife)
1872, Pastel, 46,7 x 44,1 cm
The MET (US), Rogers Fund, 1910
Emma Hill 1829-1890 fut le modèle préféré, la maîtresse puis l'épouse (1853) de Brown. En 72 après le mariage de sa fille aînée Cathy avec Franz Hueffer le compositeur allemand elle fut gravement malade et sortit difficilement d'une longue convalescence. Un pastel du visage fatigué par l'alcool et la maladie d'une femme de 43 ans.
John Everett Millais 1829-1896
Sir John Everett Millais, 1st Baronet fut annoblit par la Reine en 85, Président de la Royal Academy of Arts en 86 et inhumé dans la crypte de la Cathedrale St-Paul, un joli parcours pour cet enfant ultra précoce : médaille d'argent à 9 ans, plus jeune entré à la Royal Academy schools à 11.
D'une famille de Jersey, il vit plusieurs années de son enfance à Dinan. Ses premières oeuvres sont louées par John Ruskin, le critique dominant de la période, avec qui il noue des liens. C'est peu de le dire ! Ruskin n'avait jamais consommé son mariage : marié en 47 avec Effie Gray, la fille d'une famille amie, il fut dégoûté le soir de ses noces par le corps féminin ! (il avait 28 ans) et le mariage fut annulé en 54 pour 'incurable impotency'. Heureusement Effie servait déjà de modèle++ à Millais qui l'épousa aussitôt. Ils eurent huit enfants.
Pas banal.
Un oeuvre majuscule, qui oublia progressivement sa racine préraphaéliste en réponse aux exigences du succès académique, et qui plus est sans pastels, d'où nous extrayons simplement un dessin et une aquarelle :
John Everett Millais
Cymon et Iphigénie
1847, Crayon et encre, 35,5 x 25,5 cm
Collection privée, sur allart.biz
John Everett Millais
Effie (sa fille)
1876, Aquarelle et craie blanche, 36 x 30,5 cm
Collection privée, sur arthive.com
Un chef-d'oeuvre du genre. Perfect.
William Holman Hunt 1827-1910
Préraphaélite cofondateur qui ne dérogea point au projet initial.
Dans l'esprit de peindre selon la nature, et pour tenter de retrouver la qualité spirituelle de l'art médiéval, il part au Moyen Orient en 55... laissant ainsi Annie Miller à la disposition de Millais et Rossetti... il épousera une autre modèle Fanny Waugh qui meurt en Italie où il lui sculpte un tombeau (à Fiesole) avant de prendre sa soeur Edith pour nouvelle compagne.
Sa tombe est dans la Cathédrale St-Paul (Londres) où vous pouvez aussi passer voir La Lumière du Monde sa dernière oeuvre majeure.
Ci-dessous deux de ses rares pastels puis une aquarelle :
William Holman Hunt
Sir John Everett Millais
1853, Pastel sur carton, 33,2 x 24,8 cm
National Portrait Gallery
William Holman Hunt
Portrait de Mme Edith Holman Hunt
1880, Craie et pastel sur papier, 42,8 x 33,8 cm
Tate Gallery
Edith est la seconde épouse de Hunt et la soeur de la première (Fanny). Un mariage qui se fit chez nous car interdit par les lois anglaises !
William Holman Hunt
Vue distante sur Nazareth
1860-61, Aquarelle
Whitworth Art Gallery
William Morris 1834-1896
Enfant précoce, élève médiocre, ami de Burne-Jones, écrivain, petit peintre sans talent dont seuls les motifs de papier peint sont à retenir, socialiste militant, libertaire et marxisant mais aussi créateur de plusieurs entreprises : vitrail, édition, impression, décoration (textiles et papiers peints). Son Préraphaélisme le conduit à être le père des "Arts & Crafts" qui devancent (et initient ?) notre Art nouveau.
Il épouse Jane Burden qui après lui avoir donné deux filles deviendra la maîtresse de Rossetti et à la mort de celui-ci celle de Wilfrid Scawen Blunt l'écrivain et poète. Vous la trouvez, en Iseult sur la page des modèles, c'est la seule oeuvre notable de Morris, une huile.
Edward Burne-Jones 1833-1898
Autodidacte qui s'associe avec Morris, c'est lui qui crée les vitraux que réalise la firme Morris & Co., il voulait être pasteur mais Rossetti le détourne vers la peinture, il sera le Préraphaélite tardif qui va influencer les Symbolistes français. Sa culture sans faille, des auteurs, des moeurs, des accessoires, de l'époque médiévale, son refus du réalisme au bénéfice d'une imagination débordante, lui permettent une invention picturale dans les détails que Rossetti, Morris et les autres se pressent d'exploiter.
Edward Burne-Jones
Deux cartons pour vitrail, Pastel fusain et gouache, Tate Britain
Armement et départ des chevaliers (pour le Grall)
Une tapisserie que vous pouvez agrandir au clic
Son épouse Giorgiana est la soeur d'un camarade d'école et l'une des MacDonald Sisters, ils ont deux enfants : un garçon une fille, Philip et Margaret; un deuxième fils était né en 64 alors que sa mère était victime de la scarlatine, il ne survécut pas.
Faut-il évoquer la sexualité des préraphaélites ?
— Oui oui, va toujours !
— Ce n'est pas indispensable mais j'écoute ce qui se dit...
En 66, Euphrosyne Cassavetti, demande à Burne-Jones de faire le portrait de sa fille Maria Cassavetti Zambaco. Edward est emballé, Maria représente son idéal de beauté préraphaélite, une liaison se noue mais il ne se résout pas à quitter sa femme et sa fille. Maria au sang chaud rue dans les brancards : en 69 la police est appelée au sujet de sa tentative de suicide-chantage : laudanum et menace de se jeter dans le Regent’s Canal (Little Venice). Scandale public. Choking. Edward, fort marri, veut quitter Giorgiana qui lui répond en entamant une liaison avec leur ami Morris tandis que Mme Morris (Jane Burden) fricote inlassablement avec Rossetti. Quand l'ouvrage est terminé il faut savoir ranger son pinceau et attendre que la toile soit sèche ! Quelle histoire dans cette haute société, entre gens comme il faut, décorés, anoblis, reconnus...
Edward Burne-Jones
Etude de tête pour Cupidon et Psychée
1870, crayon, 21,2 x 18,5 cm
Melbourne national Gallery of Victoria, don de M. Monty Grover 1959
Edward Burne-Jones
Cupidon et Psychée
1870, Aquarelle gouache et pastel sur papier marouflé sur toile, 70,2 x 48,3 cm
Edward Burne-Jones
A gauche : Vitrail, 1900, Princeton University Art Museum
A droite : Huile sur toile, 1880, Tate Gallery
Arthur Hughes 1832-1915
Jeune peintre frais émoulu de l'Académie Royale qui en 1850 découvre le préraphaélisme dans leur revue (Le Germ), adhère et les rencontre. Considéré comme le meileur jeune il laisse une oeuvre copieuse mais son activité principale fut l'illustration de couvertures de livres, quelques pastels cependant et cette gouache :
Arthur Hughes
La biche blanche
vers 1870, Londres Victoria et Albert Museum, bridgemanimages.com
Edward Robert Hughes 1832-1915
Le fils du précédent, élève de Hunt qu'il épaulera sur le tard pour The Light of the world, grand aquarelliste il fit une belle carrière de portraitiste.
Edward Robert Hughes
Portrait d'une jeune fille
Pastel sur papier, Collection privée
Marie Euphrosyne Spartali 1844-1927
Fille d'un gros négociant qui fut Consul général de Grèce elle est un grand peintre, au sens propre : elle mesurait 1m90 ! et au sens figuré : ses oeuvres strictement conformes aux canons préraphaélistes en attestent.
Avec ses cousines Maria Zambaco et Aglaia Coronio (née Ionides) elles étaient connues comme "Les trois Graces".
Elève de Madox Brown, admirée par Rossetti, connue de Whistler elle épouse en 71 un journaliste américain William J. Stillman qui fut correspondant de guerre en Grèce, ils eurent trois enfants.
Grands voyageurs, elle a beaucoup contribué à faire connaître les Préraphaélites en Italie et aux Etats-Unis où ses oeuvres sont souvent mieux connues que chez nous.
Marie Spartali Stillman
Auto-portrait
1871, Fusain et craie blanche sur papier, 64,5 x 52,4 cm
Delaware Art Museum, Wilmington, DE
Marie Spartali Stillman
Fiammetta singing
1879, Crayon aquarelle et gouache sur papier, 74,6 x 100,3 cm
Private collection. Wikimedia Commons
D'après un sonnet de Boccaccio Of Fiammetta Singing traduit par Rossetti. Fiammetta en rouge à gauche.