Nous savons que mis à part la couleur rouge des terres ferrugineuses que l'on retrouve employée par les hommes du paléolithique dans les grottes ornées,
le pastel tel que nous le connaissons aujourd'hui n'apparaît qu'au 15 ème siècle.
Presque tous les peintres depuis cette époque utiliseront le pastel soit pour des touches finales, en rehauts, soit comme peinture "à sec" pour réaliser
des oeuvres que nos musées s'obstinent à nommer "dessins" mais qui devraient être simplement appelées "Pastels".
Ainsi se fait le pont entre le dessin et la peinture. En six siècles les techniques, les matériaux et les conceptions ont beaucoup évolué. Les thèmes et les sujets aussi, mais les qualités propres du pastel, le rendu à la fois éclatant et satiné des couleurs, sa capacité de rendre le velouté de la peau trouveront toujours à s'exprimer. Chez les paysagistes et les portraitistes les exemples abondent mais que dire du foisonnement de tableaux que vous allez trouver dans les pages qui suivent ? Se taire, regarder.
L'oeuvre une fois créée n'existe plus, en tant qu'oeuvre, que par, et pour, celui qui la recrée en la comprenant.
Au XVème siècle
Nous n'allons pas nous lancer dans une histoire de la peinture, notons tout de même que le 15ème termine, en France, l'époque médiévale et prélude la renaissance. Qui a mis au point le pastel ? Difficile de le dire. Le premier peintre à s'en servir pour colorer ses dessins préparatoires est :
Jean Fouquet ~1420-~1480
Si il termine la peinture du moyen-âge (c'est un grand enlumineur) il débute l'art du portrait à la française, c'est à dire juste un buste occupant l'essentiel du tableau, avec entre autre le portrait de Charles VII (1445) qui est au Louvre. Le premier "pastel" que nous trouvons est ce dessin sur papier coloré gris foncé, préparant le portrait de Guillaume Jouvenel (vers 1460). Le voici :
Bon d'accord, la participation du pastel est modeste ! mais ce n'est qu'un début et affirmons, faute de contradicteur, que Fouquet est l'inventeur du pastel, qui sera dans un premier temps appelés "crayon".
Il serait, vraisemblablement, l'auteur de ce portrait d'Agnès Sorel.
Jean Fouquet
Agnès Sorel
Fouquet meurt en 1481 l'année ou naît, à Bruxelles, Jean Clouet dont nous parlerons pour le 16ème siècle. Entre les deux il faut situer un homme éminent :
Jean Perréal ~1458-~1529
Dit aussi Jean de Paris, portraitiste surdoué, touche à tout, humaniste et ésotériste éclairé, fixé à Lyon, considéré comme le plus grand peintre français de son temps, renommé pour ses petits portraits au Pastel, il ne reste étonnamment pas grand chose de ses oeuvres hormis le portrait de Louis XII qui est au château de Windsor !
Jean Perréal
Anne de Bretagne
Jean Perréal
Charles VIII
Son portrait de Marie Tudor, qu'il était allé faire à Londres en 1514 sur la demande de Louis XII qui devait l'épouser, est perdu, mais il existe ce dessin qu'il est tentant de lui attribuer, comme étude préparatoire :
Jean Perréal
Marie Tudor présumée
Cette jeune personne, blonde, jolie, bien faite, était dotée d'un fort tempérament. Elle arrive en France, pour son mariage avec Louis XII, à 18 ans, avec son amant le duc de Sufolk, accueillie et conduite par le cousin du roi (le futur François 1er) elle tombe dans ses bras. Elle avait dû promettre à son frère (Henri VIII) de ne pas épouser Sufolk, tout au moins avant d'être veuve, et ô miracle, Louis XII (52 ans) meurt après 3 mois de mariage. François, qui veut l'épouser doit y renoncer pour garder la Bretagne à la couronne. Elle épousera Sufolk pour mourir à 37 ans. A nous les petites anglaises a dû se dire Perréal !
D'ailleurs d'aucuns qui soutiennent que Perréal serait l'auteur de La Dame à la Licorne pensent que la reine Marie d'Angleterre en serait le modèle.
Cessons ces bavardages pour revenir au Pastel. Perréal en était considéré sinon comme l'inventeur au moins comme le metteur au point. Louis XII avait souhaité qu'il l'accompagne à Milan en 1499-1500 pour montrer aux Italiens l'excellence des portraitistes français et da Vinci notera dans son carnet de penser à demander à Perréal sa recette pour la peinture à sec, la méthode pour dissoudre la gomme-laque et la coloration du papier.
Fort de cette note vous trouverez partout que c'est Perréal qui enseigna le Pastel à Léonardo. Nous allons voir que non.
Ils durent parler de beaucoup de chose (dont le pastel en effet), Perréal était architecte, architecte militaire, organisateur et metteur en scène de grands évènements, dessinateur et semble-t-il auteur des cartons de sculpture des tombes royales de Bretagne, graveur de médailles, cartonnier de vitrail et bien sûr peintre, portraitiste, pastelliste ... Léonard trouvait à qui parler. Mais au risque de décevoir notre fierté nationale il convient de rejeter cette idée, les dates ne collent pas, pour preuve ce croquis de moule à Pastel tiré des carnets de Vinci et antérieur à cette rencontre (carnets de 1493-1497).
Léonard de Vinci 1452-1519
Léonard de Vinci
Codex Madrid I folio 191
Retourné en miroir car écrit en spéculaire
Antérieur à cette rencontre également ce crayon de 1495.
Léonard de Vinci
Isabelle d'Este
Au Louvre
Et puis ce texte de Giovan Paolo LOMAZZO (1528–1600) imprimé en 1584.
Non tacerò anco d’un altro certo modo di colorare che si dice a pastello, il quale si fa con punte composte particolarmente in polvere di colori, che di tutti si possono cóporre. Ilche si fà in carta, & fù molto usato da Leonardo Vinci, ilqual fece le teste di Christo, & de gl’Apostoli, à questo modo eccellenti, & miracolose in carta. Mà quanto è difficile il colorire in questo nuovo modo tanto à eglu facile à guastarsi. Mà del porre in opera con diligenza, & arte i colori per ciascuna sorte di lavorare Bernardino da Campo Cremonese ne ha fatto un copioso, & diligente trattato, & lo ho saputo anco mettere in pratica nelle opere sue fatte con cura grandissima.
Trattato dell’arte della pittura, scoltura e architettura, Milan, 1584, pp. 192f
La qualité des visiteurs de ce site nous dispense de toute traduction ;-)
Donc Léonard connaissait déjà le pastel, et utilisait déjà le mot, avant d'en parler avec Jehan de Paris, c'est
ainsi que l'on nommait Perréal en ce temps, en revanche, considérons comme acquis que Clouet fut formé au pastel par Jehan.
Ajoutons que Fouquet s'était, lui même, rendu en Italie (Rome et Florence) dans les années 50-60.
Pour terminer, momentanément, sur ce sujet, à propos de la récente découverte et de l'authentification de La belle Princesse
Madame le docteur Cristina Geddo a donné, en 2012 et 2013, une conférence au cours de laquelle elle confirme ces supputations et
établit que Léonard aurait perfectionné les pastels par l'ajout de cire.
Vous pouvez suivre ce
LIEN pour retrouver cette conférence. (votre navigateur doit ouvrir les PDF).
Giovanni Antonio Boltraffio, 1467-1507
Ce milanais, contemporain de Vinci, fut son élève.
Vous savez que la Cène (1495-1498), au couvent bénédictin de Santa Maria delle Grazie à Milan, suite à des choix
hasardeux du maître, tombe en décrépitude, c'est le mot qui convient pour une fresque. Malgré les tentatives de restauration,
les visages du Christ et des apôtres s'estompent lentement.
Boltraffio est ici à sa place car il réalisa une série de copies, conservées au Cabinet des dessins et des estampes
de Strasbourg. Le travail en est composite qui mêle plume, craie noire, pastel et aquarelle (ou gouache ?).
Les voici. (Cliquez sur les vignettes pour les agrandir)
nb. Ces copies sont attribuées à Boltraffio depuis des siècles, toutefois, notons que selon Cristina Geddo, la
spécialiste dont vous avez pu lire la conférence mise en lien plus haut, ce serait à Giovanni Pietro Rizzoli dit
Giampietrino, un autre élève de Leonardo, plus jeune (1495-1549), qu'il faudrait
les attribuer.
A côté de ces pastels, Giampietrino, réalisa en 1520 une copie complète de la cène, à l'huile sur toile, actuellement conservée à Londres à la Royal Academy of Arts dont la photographie grandeur nature a servi pour la dernière restauration (1978-1998).
Cliquez sur l'image pour l'agrandir.
Notez que les pieds du Christ sont, ici, visibles; ils ont été supprimés en 1652 lors du percement du mur et l'installation d'une porte dont le linteau occupe le dessous de la table.