Quelques précisions sur le petit rappel historique ci-dessus. La nouvelle donne (new deal) sur laquelle Roosevelt se fait élire en 1932 vise à corriger les effets désastreux du krach de 29, chômage, faillites, en prenant d'innombrables mesures de soutien et en créant de non moins nombreuses agences parmi lesquelles on trouve la WPA, Works Progres Administration, qui trouva du travail pour des dizaines de milliers de chômeurs en lançant une série de grands travaux. Les artistes qui nous intéressent ici bénéficièrent du FAP, Fédéral Art Project, comanditaire de plus de deux cent mille oeuvres ! Ils bénéficièrent aussi d'une des premières lois du New Deal qui annula la prohibition de l'alcool (22 mars 33, durant les 100 jours). La fin des restrictions déclencha un usage abusif : tous ceux dont nous allons parler étaient alcooliques !
Nous avons déjà tutoyé le sujet à l'article Pollock sur lequel nous allons revenir. New York années cinquante, la guerre a provoqué le passage transatlantique de l'abstraction issue du cubisme et celui des planqués surréalistes, Breton en tête mais aussi Léger, Mondrian, Chagal, Matta, Ernst...Duchamp
Si les Rosenberg se sont enrichis lors de la guerre de 14 (Paul l881-1959 et Léonce 1879-1947*) en spoliant l'Etat français, ils (Harold 1906-1978) ont enrichi l'Empire state* en y fixant les nouvelles normes artistiques, c'est l'Ecole de New York : l'Expressionnisme abstrait qui se décline en Action painting (Appellation proposée par Harold), dripping et pouring avec Pollock à la manoeuvre et Colorfield Painting sous la houlette de Rothko. Le résultat importe peu et encore moins ce que le tableau est censé représenter : l'action painting s'intéresse aux gesticulations qui l'ont fait naître, quant à Rothko seule compte la couleur dans laquelle le spectateur est invité à se noyer.
En réalité l'oeuvre est sans importance, c'est du peintre dont on se soucie. L'amateur se sent reconnaissant d'être convié à partager ces moments d'intimité qui font de lui un quasi auteur tant il reconnaît ou croit reconnaître ses sentiments et ses émotions.
* NB. ① Par crainte que vous pensiez qu'il y a de l'acharnement contre les marxistes et Mme Sinclair précisons que de 40 à 45, et même plus tard, ce sont les allemands dont un Rosenberg (Alfred, pendu à Nuremberg), nazi violent, qui spolièrent les galeristes et historiens de l'art dont nous parlions.
② Les yankees, ces grands enfants, affublent les gens et les choses d'un surnom (nickname), une manière de baptêmne pour se donner une impression de maîtrise et de possession. Ainsi les états se présentent-ils en se singularisant par leur surnom : l'état de New-York se veut Empire State, la ville se satisfait d'être Big Apple.
Arshile Gorky 1904-1948
Né arménien (Vosdanik Manoug Adoian) en un temps où les macrons* avaient disparu de l'histoire et alors que l'Arménie était sous la férule ottomane. Devenu américain il est l'initiateur du mouvement après avoir versé dans le surréalisme avec Breton mais il ne le poursuivra pas longtemps : il se suicide par pendaison après un accident de voiture, l'incendie de son atelier, une opération invalidante pour un cancer et que sa femme l'eut trompé avec Roberto Matta. Misère de misère, avoir réchapper du génocide arménien !
* NB. Concernant les macrons relisez l'Anabase de Xénophon.
Arshile Gorky
Agony
1947, Huile sur toile, 101,6 x 128,3 cm MoMA image wiki
En 47 le Blast de Gottlieb est déjà là, les flammes sont aussi douleur, la tumeur (tu meurs) semble métastasée, cet expressionnisme est peut être plus figuratif qu'abstrait.
Willem de Kooning 1904-1997
Né hollandais comme un vulgaire macronniste, devenu américain lui aussi, proche de Gorky et comme lui présenté à la source de l'expresionnisme abstrait alors qu'il récuse les appartenances. Son thème permanent est un portrait de femme assise, agressive et violente (une version au pastel est présente au centre Pompidou), sorte de vénus intemporelle dont les hommes devraient se méfier, (peut-être a-t-il l'esprit large mais l'inconscient étroit ?) une idole inquiétante qu'il vaut mieux adorer de loin, déclinée en séries.
Willem de Kooning
Woman one
1952, Huile sur toile, 192,7 x 147,3 cm MoMA image wiki
Sa femme, Elaine Fried 1918-1989
Elle est peintre, professeur d'art, écrivain. Elle fricotait avec Harold Rosenberg ce qui n'a pu qu'aider la notoriété de son époux ! (un couple "open") Ils fricotaient aussi avec la bouteille.
Harold Rosenberg, pur new-yorkais, n'est pas apparenté avec nos Galeristes parisiens. Poète, écrivain, journaliste, professeur et critique d'art; impliqué dans la WPA et le FPA son rôle est considérable dans la genèse et l'évolution de l'art de la deuxième moitié du 20 ème siècle et les débuts du suivant. Intellectuel pénétrant non dénué d'ironie il s'est peu trompé en prédisant l'évolution mortifère de l'art.
Ce portrait de Kennedy est une commande officielle pour le musée-bibliothèque Harry Truman à Independance (Missouri). Elaine eu plusieurs rencontres avec le président en Floride, décembre 62, après son assassinat (63) elle multiplia convulsivement, pendant deux années, les versions du portrait en disant que ce n'étaient que des vues rapides. Elle parlait du violet de grain de raisin de ses yeux.
Jackson Pollock 1912-1956
Une enfance dans l'ouest, Wyoming, Californie, Arizona. Rétif à l'enseignement scolaire, ne parlons même pas de l'université. Des frères qui l'amènent à New York, plutôt timide. De gauche, la gauche des travailleurs, séduit par les fresques murales d'Orozco (José Clemente 1883-1949), il étudie avec un peintre réaliste, Thomas Hart Benton qui essaie de le former malgré son incapacité à dessiner correctement. Soutenu par le FAP, admirateur de Picasso, il enchaîne désintoxications et thérapies junguiennes, il dit être inspiré par les peintures de sable des navaros. Un indéniable talent bien difficile à définir, il a trouvé le moyen de peindre et de faire partager ses émotions.
N'omettez pas de cliquer sur l'image ci-dessous. (En espérant que vous bénéficiez d'un grand écran !)
Monument de l'expressionnisme abstrait, Mural n'apparaît pas par génération spontanée. C'est une commande de Peggy Guggenheim, collectionneuse, galeriste et mécène, pour décorer l'entrée de son appartement (d'où les dimensions).
Avant d'aller plus avant dans l'oeuvre et la vie de Pollock il nous faut parler de ses frères, de son maître et de son épouse car ils vont construire ce peintre source de la modernité qui, au départ n'était pas le plus doué de la famille.
Voyons l'arbre familial : 🔴 Le père : Leroy McCoy 1877-1933, orphelin très jeune, élevé par de braves fermiers nommés Pollock, il choisit de se nommer Roy Pollock. Il épouse la soeur aînée d'une copine d'école, esprit critique et informé qui apprécie les fresques murales d'Orozco et Rivera, honnête travailleur du monde rural qui est le sien, il sera arpenteur pour l'administration et multiplie donc les rencontres et les déménagements, il boit. Jackson en l'accompagnant aura des contacts avec les amérindiens et les peintures de sable. 🔴 La mère Stella May McClure 1875-1958, robuste et dévouée, va avoir cinq garçons et tenir la maison. Un couple uni et des enfants bien élevés. 🔴 La fratrie : Charles Cecil 1903-1988, le seul né à Denvers (Colorado) les autres sont de Cody (Wyoming), peintre et calligraphe, Marvin Jay 1904-1986, imprimeur, Frank Leslie 1907-1994, journaliste, Sanford Leroy 1909-1963 peintre sérigraphiste, il redevient Mcoy dans les années 30, Paul Jackson 1912-1956.
Charles Pollock 1902-1988
Charles l'aîné des cinq garçons, à 20 ans il est à Los Angeles, travaille dans un journal, étudie l'art à l'Institut Otis, apprécie les oeuvres murales de Rivera et d'Orozco et le travail de Benton. A 24 ans il part pour New York avec Frank et étudie avec Benton dont il devient une sorte d'assistant-répétiteur. Ils font venir Jackson en 1930. Charles rencontre Elizabeth Feinberg qu'il'épouse, ils ont une fille Jeremy. Une seconde épouse en 70, Sylvia Winter et une seconde fille Francesca, ils s'installent à Paris en 71 où il meurt à 85 ans.
Une oeuvre typique de la formation de Benton. Pour vivre, en cette période Charles peint des affiches de cinéma, il est aussi calligraphe.
Charles Pollock
Stack (pile)
1968, Acrylique sur toile, 213 x 127 cm Musée de Kaiserslautern
Thomas Hart Benton 1889-1975
Originaire du Missouri, son père est avocat et membre du Congrès. Il étudie l'art à Chicago puis 4 années à Paris chez Julian avec Laurens, il voisine Rivera. Installé à New York il se veut anti moderne, qualifié régionaliste, il peint le monde agricole du middle west et remporte un succès populaire. Il enseigne à la Art Students League de New York, une école de peinture où il va avoir Charles Pollock pour élève. Charles est issu du milieu rural qui fait la gloire de Benton qui pourtant émane du monde lettré et de l'aristocratie politico-fortunée, ils vont être amis.
Tom Benton
Cotton Pickers, Georgia
1928, Tempera and oil on canvas, 76,2 x 91,1 cm Public domain
Madame Pollock, Lee Krasner 1908-1984
Newyorkaise, d'une famille de juifs ukrainiens fraîchement immigrés, elle se veut peintre, fréquente les écoles pour filles et se révèle particulièrement douée : cet autoportrait pour entrer à la National Academy of Design.
Lee Krasner
Naissance de Lee
1926, Huile sur toile Pollock-Krasner Foundation
Plus tard, prise en charge par la WPA, elle participe au Federal Art Project tout en rejoignant les "American Abstract Artists". En 41 elle est éblouie par Jackson Pollock qu'elle épouse en 45.
Lee Krasner
Combat
1965, Huile sur toile Melourne, National Galery of Australia
Si Mme de Kooning était dans les petits papiers de Rosenberg Lee pour sa part fut largement promue par Clement Greenberg, et Pollock avec elle. Greenberg, pourtant phi beta kappa de haut vol, d'ordinaire vécu comme le pape de l'expressionnisme abstrait, théoricien, critique, collectionneur bien sûr, historien et journaliste ce qui est antinomique, n'en a pas moins écrit beaucoup de sottises sur lesquelles il revenait dix ans plus tard.
Un bref résumé de ses idées : la peinture moderne est moderne parce qu'elle se limite à ce qui lui est spécifique, soit la planéïté du support et la limite du cadre; le reste lumière, valeurs, ombres, motif est superfétatoire. On croirait entendre Giscard disant que 5 ans est plus mauderne que 7.
Revenons à Jackson.
Nous n'allons pas spéculer sur la part qui revient à chacuns de ceux que nous venons d'entrevoir dans la formation de son art et le devenir de sa personne mais il est évident que Lee et lui s'influencent l'une l'autre, que Charles joue pleinement son rôle de frère aîné et que sans Benton ils seraient peut-être restés, tous, d'honêtes tâcherons anonymes.
Commençons par des ouvrages de la période Benton :
Jackson Pollock
Going West
1934-35, Huile sur isorel, 38,3 x 52,7 cm Smithsonian American Art Museum, Gift of Thomas Hart Benton
Le moment est venu de remonter voir, en plein écran, Mural. Sa première vraie grosse commande pour laquelle il fut payé par une pension mensuelle (150 $); si les dimensions étaient imposées (c'est Duchamp qui conseilla une toile plutôt qu'une fresque) Pollock avait le choix du sujet, notons qu'il a dû songer à Going west en faisant ce qu'il présente comme une cavalcade et qui sera sa dernière oeuvre "figurative".
Jackson Pollock
Peddler (colporteur)
1934-35, Plume encre aquarelle et crayon sur papier, 28,4 x 26 cm Smithsonian American Art Museum, Gift of Thomas Hart Benton
Une toile qui aurait été inspirée par la Jeune fille devant un miroir de Picasso. C'est la période des cures de désintoxication et des thérapies, certains veulent voir l'inconscient derrière le masque.
Jackson Pollock
Birth (Naissance)
1941, Huile sur toile, 115,4 x 55,1 cm Tate Modern
Son thérapeute jungien, Henderson, est autant captivé que Jackson par la plongée dans les pratiques chamaniques des amérindiens et des inuits et la découverte de nos profondeurs communes.
C'est la période où il vit chez Lee Krasner, ils vont aller s'installer à Springs (East Hampton) à la pointe de Long Island, sans confort, et faire atelier commun dans une grange où peignanr au sol il abandonne le pinceau, désormais ce seront gouttes et coulures.
Jackson Pollock
Guardians of the secret
1943, Huile sur toile, 123 x 192 cm San Francisco, Museum of Modern Art
Pollock a vu en 41, au MoMA, une exposition sur l'Art Indien, nous retrouvons les totems; les tableaux de sable sont délimités par des "gardiens.
Nous voilà très informés sur Pollock, restent à voir quelques drippings et pourings qui sont d'ordinaire ce qui est retenu de son oeuvre !
Jackson Pollock
Number 17-A
1948, Huile sur isorel, 112 x 86.5 cm Private collection
La fin est proche, se serait-il renouvellé ? Il a rencontré Ruth Kligman (1930-2010) devenue sa maitresse, il a acheté une Oldsmobile 88 cabriolet, il s'est remis à boire, sévèrement, une vilaine barbe a envahi son visage. Lee est partie en France. le 11 août 56 en compagnie de Ruth (il y a des prénoms prédestinés) et d'une amie à elle, Edith Metzger, il a vidé une bouteille de gin, ils embarquent dans le bolide mais ne quiteront pas Springs, arrêtés par un arbre au premier virage. Edith et Jackson trépassent, Ruth se relèvera pour aller séduire de Kooning.
C'était l'histoire d'un peintre génial qui ne savait pas dessiner.
Né Russe en Lettonie dans une famille juive qui émigre en Oregon dès son enfance ce qui lui épargne à la fois les persécussions russes et allemandes, bolcheviques et nazies, sans toutefois le rassurer pleinement. Il lui en reste un caractère difficile et une méfiance instinctive qui lui font rejeter les étiquettes. Il se fâche d'avec sa femme parce qu'elle réussit mieux que lui, ami de Gotlieb et Newman, proche de Pollock il récuse l'appellation d'expressionnisme-abstrait. Séduit par Matisse, Nietche et Jung, il souhaite voir l'humain renouer avec les profondeurs mythologiques de la psychée commune.
Les à-plats de couleur du Colorfield Painting invitent le spectateur, par leurs grandes dimensions et l'absence de limite nette, à plonger dans le drame de la vie et de la mort. Il se suicide en 70.
New yorkais très jeune il étudie à l'Art Students League puis part à Paris à vingt ans où il étudie à la Grande Chaumière avec les emballements du moment dont bien sûr Matisse. Il accouche de trois séries : les pictogrammes jusqu'en 51, les paysages imaginaires 51-57 et les explosions 57-74. Vous prendrez bien un petit blast (plus de 2 m quand même).
Il se voulait important, il ne fut qu'importun. L'épaisseur de la matière ne donne pas de profondeur à la pensée. Il ne voulait pas de titre "pour ne pas aider le spectateur". Il travaillait à la spatule, peut être cherchait-il des tartes !
Songez que ce Guy a enseigné l'art toute sa vie.
Chef de file des irascibles (contre le MET qui ne les expose pas), agent des Color Field painting.
Helen Frankenthaler 1928-2011
Vraie new-yorkaise, pilotée (euphémisme) par Clement Greenberg penseur majeur de l'expressionnisme abstrait et critique d'art qui la rend proche de Pollock et des De Kooning, elle se classe dans le Colorfield painting.
Helen Frankenthaler
Mountains and Sea
1952, Oil and charcoal on unsized, unprimed canvas, 219.4 x 297.8 cm Helen Frankenthaler Foundation, N.Y. on extended loan to the National Gallery of Art, Washington, D.C.
Vous n'avez trouvé que bien peu de pastel sur cette page d'Annexes, mais si les chefs d'école et créateurs dominants l'ont ignoré ce n'est pas la généralité. Vous trouverez les autres dans les pages générales. Citons par exemple Scully ou Walcowistz, Joan Mitchell ou même Jean-Paul Riopelle.